Et si la sensation télé de cet été venait… de la plateforme numérique de France Télévisions, France.tv slash ? Avec «Drag Race France», celle-ci nous propose, en tout cas, un show à la fois divertissant, touchant, original, créatif, inclusif, mais aussi qui nous en dit long sur le drag.
Novembre dernier. Les réseaux sociaux, Twitter en tête, sont en émoi. Une adaptation de «RuPaul’s Drag Race» va être prochainement proposée en France.
D’un côté, la communauté LGBT+ et tous les autres fans du drag-show (diffusé depuis 2009 sur le câble à la télévision américaine) de la célèbre drag queen américaine RuPaul, impatientes et impatients de voir comment une touche française pourra être apportée à ce concours de drag queens. De l’autre, un certain nombre de personnes conservatrices ou réactionnaires, trouvant scandaleux que la télévision publique puisse financer une telle émission qui participerait à la décadence de la masculinité et de nos sociétés occidentales par la promotion de la propagande d’un «lobby LGBT». Au milieu de tout cela, pour celles et ceux qui ne sont ni familières et familiers de l’univers drag, ni de «Drag Race», il y avait de quoi se demander pourquoi ce divertissement télé suscite autant de passions.
Drag Race France une compétition pour désigner “la prochaine grande reine du drag français”
Pour tenter de répondre à cette interrogation, nous nous sommes donc plongé/e/s, le 25 juin dernier, jour de la marche des fiertés à Paris et jour symbolique choisi pour le lancement de «Drag Race France», dans le premier épisode.
A la présentation et au jury : Nicky Doll, célèbre drag queen française et la seule à avoir participé (pour l’heure) à une des saisons de la version originale de «Drag Race». Pour compléter le jury : l’animatrice de France Télévisions Daphné Bürki, qui se révèle, chaque semaine, dans des tenues plus magnifiques les unes que les autres et dans ses commentaires nourris par l’expérience de styliste (notamment chez Dior) qui a été la sienne avant la télévision et que nous avions oublié ; et le chanteur, DJ et producteur de musique Kiddy Smile, figure queer dont l’engagement pour les droits des personnes LGBT+ n’est plus à démontrer. Enfin, une ou deux célébrités sont invitées, chaque semaine, dans le jury afin d’apporter un autre regard sur les performances des candidates.

Le principe est simple : il s’agit d’un concours qui vise à désigner «la prochaine grande reine du drag français». Pour cela, chaque épisode est composé de trois épreuves : un «mini défi», un «maxi défi» et un défilé dans une tenue confectionnée par les candidates et sur un thème imposé. Chaque semaine, une des candidates est éliminée à l’issue d’un lip-sync, c’est-à-dire un face-à-face entre les deux candidates en bas de classement, qui doivent alors, pour être départagées, proposer le playback le plus convaincant possible sur une chanson imposée.
Le drag, un art à part entière…
Et dès le premier épisode, le programme nous fait prendre conscience à quel point le champ des possibles offert par le drag est sous-estimé par le grand public. En effet, nous sommes loin de l’image des hommes qui se déguiseraient en femmes pour s’amuser, comme pourraient le décrire ou le penser de manière caricaturale ou mal-informée certaines personnes. Il s’agit, en réalité, d’un véritable art à part entière.
Un drag-show, c’est, en premier lieu, tout un travail en terme d’élaboration d’un maquillage, de réalisation d’une coiffure et de confection d’une tenue, ce qui demande des qualités techniques bien précises, mais aussi d’être méticuleux, soigné et créatif.
Tout ce travail manuel est, de plus, mis au service d’un autre travail, artistique cette fois. En témoigne la manière dont nous sont présentées les candidates dans «Drag Race France», à savoir sous leur nom de scène et jamais par leur vrai nom. Et pour cause, une personne ne s’apprête pas en drag queen uniquement pour la beauté du geste, comme n’importe qui pourrait s’habiller pour aller travailler ou faire ses courses par exemple. Il s’agit de se mettre dans la peau d’un personnage crée de toutes pièces et mis au service d’un spectacle. Là encore, cela nécessite des qualités d’actorat, d’improvisation et d’imagination qui ne sont pas à la portée de toutes et tous.
Enfin, si chaque candidate a ses qualités, et donc sa spécialité, «Drag Race France» nous fait rapidement comprendre que si elles ne veulent pas simplement être une drag queen accomplie mais devenir une véritable reine du drag, il faut savoir être assez polyvalent. Chant, danse, humour, comédie, effeuillage, burlesque… Les drag-shows peuvent, en réalité, revêtir des formes assez différentes. Ainsi, le drag partage bien davantage de points communs qu’il n’y paraît avec d’autres types de spectacles jugés plus consensuels par certaines et certains.
…mais un art avant tout engagé plutôt qu’un simple divertissement
Le drag, un art comme les autres, enfin presque. S’il était de la mission de service public de France Télévisions de visibiliser et de s’emparer de la culture LGBT+ de la sorte en adaptant cette émission de drag, de par l’origine et l’histoire du drag, celui-ci n’a pas vocation ni intérêt à trop se banaliser, au risque, dès lors, d’être récupéré voire dénaturé par une société capitaliste et patriarcale. En effet, le drag est avant tout un art politique, indissociable de la communauté LGBT+ et de la contre-culture qu’elle a développée. Le principe-même du drag est également politique : performer consciemment et à excès un genre en détournant ses codes sous-entend qu’être un homme ou une femme repose sur des normes avant tout sociales définies arbitrairement et qui sont donc déjà reproduites par tout un chacun de façon caricaturale (à ce sujet, la philosophe américaine Judith Butler l’explique bien mieux que nous).

En cela, en nous montrant une drag queen à barbe (la Big Bertha), une racisée (Lolita Banana), une non-binaire (Soa de Muse), ou encore une transgenre (La Briochée), cette première saison de «Drag Race France» réussit formidablement bien, par son casting, à prendre en considération cette dimension.
De même, en évoquant entre elles, entre autres, les questions d’acceptation de son corps, ou plus largement de soi, grâce au drag, de genre, de coming-out, des agressions verbales et physiques qui visent les personnes LGBT+, de la précarité du drag comme métier, ou encore de séropositivité, les différentes candidates participent également activement à ce rappel à chaque épisode, comme une parenthèse au cours du show.
Plus de 900 000 téléspectatrices et téléspectateurs pour le lancement et une co-
diffusion finalement prolongée sur France 2
Vous l’aurez compris : pour Similiqueer, «Drag Race France», shantay, tu restes. Entre nous, nous sommes même déjà demandeurs et demandeuses d’une seconde saison alors que celle-ci vient à peine de connaître son dénouement. Mais est-ce le cas pour la direction de France Télévisions, ainsi que les publics de France.tv slash et de France 2 ?
Si France Télévisions ne communique pas sur les audiences de France.tv slash, sa plateforme numérique sur laquelle est diffusée le programme, d’autres chiffres sont, toutefois, connus. C’est le cas de l’audience du premier épisode de «Drag Race France», qui avait eu droit à un lancement en grandes pompes en étant directement retransmis sur France 2. Une diffusion à la télévision publique dont peu d’autres adaptations de «Drag Race» ont bénéficié et peuvent se vanter. Diffusé en seconde partie de soirée (vers 23h30), ce premier épisode avait attiré 915 000 téléspectatrices et téléspectateurs (11,6% du public, 3 ème chaîne nationale), soit dans la moyenne de l’audience réalisée par le talk-show de Laurent Ruquier qui occupe traditionnellement cette case horaire. Un score encourageant donc, au point de convaincre France 2, qui devait laisser à France.tv slash le soin de diffuser la suite de la compétition, de changer d’avis et de poursuivre la diffusion à l’antenne.
Les numéros suivants ont, cependant, rassemblé moins de monde : entre 200 000 et 300 000, selon les épisodes. Mais cela tient certainement au fait que France.tv slash conserve, malgré tout, l’exclusivité de la diffusion, si bien que les plus pressé/e/s peuvent visionner l’épisode en ligne dès le jeudi soir. De plus, l’horaire de (re)diffusion sur France 2 est désormais plus tardif que lors du lancement du programme: le célèbre jeu «Fort Boyard» occupant les samedis soirs de la chaîne l’été, «Drag Race France» n’est plus diffusé qu’en troisième partie de soirée, soit passé minuit.
Quelles que soient les audiences, il est clair que «Drag Race France» a su créer l’évènement comme peu de programmes de France.tv slash auparavant. Il ne semble même pas exagéré de qualifier d’ores et déjà le programme de sensation télé de cet été. Et si vous ne nous croyez pas, il n’y a qu’à observer la couverture médiatique enthousiaste dont a bénéficié cette adaptation française de «Drag Race».
N’oublions pas non plus toutes ces personnes qui ont fait la queue par dizaines plusieurs jeudis d’affilés devant certains bars parisiens rien que pour pouvoir découvrir le nouvel épisode de «Drag Race France» en bonne compagnie, à l’instar de ce que font déjà par exemple certaines et certains à l’occasion des matchs de l’équipe de France durant les compétitions internationales de football.
C’est sans doute pour toutes ces raisons qu’à peine la finale diffusée sur France.tv slash ce jeudi, Stéphane Sitbon-Gomez, directeur des antennes et des programmes à France Télévisions, a annoncé sur Twitter qu’une saison 2 est d’ores et déjà en préparation.
Alors, hâte de découvrir une nouvelle saison de «Drag Race France» ? Qui est votre reine de cette saison ?
«Drag Race France», tous les jeudis soirs à 20h sur France.tv slash et tous les samedis soirs vers minuit sur France 2.