Qu’est-ce qu’être gouine aujourd’hui ? C’est la réponse à laquelle répond un collectif de 8 autrices dans le livre Gouines dont la sortie est prévue le 8 novembre prochain aux éditions Points.
Après la sortie du livre Pédés en juin 2023, on attendait avec impatience sa version lesbienne. C’est désormais chose faite avec Gouines, un recueil de textes à paraître le 8 novembre dans la collection Point Féminismes. Cet ouvrage collectif a été coordonné par les journalistes et autrices Marie Kirschen et Maëlle Le Corre qui ont invité six autrices gouines contemporaines à écrire sur leur vécu lesbien. Cela donne des textes percutants, bouleversants et drôles pour repenser les identités lesbiennes, se réapproprier l’insulte et clamer haut et fort sa fierté d’être gouine.
Pour parler de Gouines, nous avons rencontré Marie Kirschen et Maëlle Le Corre qui nous détaille les coulisses du projet, leur rapport au mot gouine et le pouvoir d’être à la marge.
Quelle est la genèse du projet ?
Maëlle : J’avais suivi le projet Pédés avant sa sortie parce que je connais bien l’un des auteurs du collectif, Anthony Vincent. Et Anthony m’avait dit “ce serait bien qu’il y ait un bouquin Gouines qui se fasse aussi”. J’ai envoyé un mail à Gabriela Larrain, qui s’occupait de la collection Points Féminismes. Elle m’a dit qu’elle était très intéressée et qu’une autre personne l’avait contactée avec la même idée. Et c’était Marie. On a été très raccord niveau timing. Comme on se connaissait, on s’est lancé.
Comment s’est fait le choix des autrices qui participent à l’ouvrage ?
Maëlle : C’était pas facile. Quand on a commencé à travailler sur le projet, on a fait une liste très très longue de personnes dont on aime le travail. C’était un crève-cœur de devoir faire des choix. L’idée c’était d’avoir des voix de personnes qui avaient des choses à dire sur les identités lesbiennes et qui étaient pas forcément attendues, que ce soit pour la communauté lesbienne ou pour le grand public. On voulait des choses différentes que des réflexions sur le coming out par exemple.
Maëlle, dans ton texte tu parles du fait d’être devenue lesbienne et de ne pas être “born this way”. Pourquoi avoir choisi ce thème ?
Maëlle : J’ai voulu parler de la contrainte à l’hétérosexualité à travers ma trajectoire personnelle. J’adore parler d’hétérosexualité, ça me passionne. Je trouve qu’il y a toujours des choses à dire, à analyser. La question du coming of age lesbien revient souvent dans l’ouvrage finalement. Je trouve que ça dit quelque chose sur nos identités lesbiennes, la manière dont on arrive à notre propre lesbianisme.
J’ai bien aimé écrire ce texte parce que c’est peut-être le texte que j’aurais aimé lire à un moment de construction dans ma vie. C’est une trajectoire qui est un peu différente, – même si elle n’est pas du tout minoritaire je pense – , mais c’est bien de montrer quelque chose qui est un peu moins born this way justement. Ce qui est chouette c’est qu’en ce moment, il y a plein de livres sur les questions lesbiennes et une diversité de paroles. Il y a eu Le déni lesbien, À nos désirs, Sapphic Lovers, Goudou où êtes-vous ?, etc. Il y a une émulation et c’est chouette de s’intégrer là-dedans.
Marie, toi tu évoques le fait de rester amie avec ses exs. Cela peut paraître léger mais c’est aussi une façon de dire que les gouines sortent des normes.
Marie : Les hétéros m’ont donné beaucoup de conseils sur comment il fallait gérer une rupture : faut pas se voir pendant 6 mois, faut couper les ponts, etc. En tant que gouine, comme on est déjà habitué à être en dehors des normes, j’ai l’impression que c’est plus facile de remettre en cause ça. C’est très fort dans les communautés lesbiennes et c’est une richesse qu’on ne valorise pas assez.
Ce que montrent les études, c’est que les hommes qui sortent avec des hommes et les femmes qui sortent avec des femmes ont tendance à avoir des liens plus forts avec leurs exs. C’est une manière de tisser des liens sociaux qui peuvent se rapprocher de la famille. Une famille choisie. Ces liens sont plus importants que pour les hétéros, où tout tourne encore beaucoup autour de la famille avec un grand F, traditionnelle : un papa et une maman avec des enfants. Du côté queer, il y a plus de recherches de liens alternatifs parce que ça ne nous convient pas forcément de reproduire exactement la même chose version lesbienne ou gay.
Tu dis d’ailleurs que c’est une sorte de super-pouvoir. Quels seraient les autres super-pouvoirs des gouines ?
Marie : Le fait d’avoir fait un pas, voire un kilomètre de côté donc de voir les choses non plus du centre mais de la marge. Je pense que ça change énormément de choses.
Maëlle : La société nous décentre donc on la regarde forcément différemment. On est capable d’analyser les choses, d’avoir de la réflexivité. Ça permet de se connecter différemment avec d’autres communautés, d’autres minorités. Même si ça ne nous facilite pas toujours la vie, on peut voir ça comme un super-pouvoir.
Dans plusieurs textes de l’ouvrage, on voit qu’au sein de la communauté lesbienne et féministe il y a du racisme, du classisme, du validisme. Est-ce que c’était important pour vous que ces thèmes soient abordés ?
Maëlle : Oui, c’était important. À l’image de la société, une communauté quelle qu’elle soit va aussi reproduire des mécanismes d’oppression, des réflexes de domination. Par exemple, Erika Nomeni parle du racisme dans son texte parce qu’elle le voit, elle le vit, donc forcément on se doutait qu’elle allait aborder le sujet. Après, il n’était pas question de mettre sur chaque personne la charge de dénoncer une oppression.
De votre côté, comment avez-vous réussi à vous réapproprier le mot gouine ?
Marie : Je pense que c’est arrivé assez vite parce que j’ai eu un parcours très intello dans mon lesbianisme (rires). J’ai commencé par lire des livres donc j’ai tout de suite été très infusée de théories queer, de réflexions sur l’histoire LGBTQIA+. C’était capital pour sortir de la honte. L’homosexualité c’est quand même ce parcours où tu es jeune enfant, tu apprends que les gouines et les pédés, c’est très mal et ensuite a posteriori tu réalises que ça te concerne. Pour sortir de la honte que ça génère, la seule solution pour moi c’était de me le réapproprier et de l’affirmer. C’est une manière de lutter à un niveau individuel et de dire “oui je suis gouine et c’est pas un mot dégueulasse. C’est ok”.
Maëlle : Je me suis appropriée gouine un peu avant le mot lesbienne. Gouine c’est pas seulement être en couple avec une femme. Ça infuse dans tous les niveaux de ta vie. En tant que journaliste, le lesbianisme est mon corps de métier. Pas que, mais ça fait partie des sujets que je traite. C’est mon travail, mon cercle amical, ma vie de couple. Gouine a cette portée collective et globale. Et puis ça sonne trop bien. Se le dire à la première personne, ça n’a vraiment rien à voir avec le fait de le subir. Pour moi, c’était fort et évident.
Dans l’avant-propos, vous dites “être lesbienne c’est passer son temps à ne pas se voir”. La question de la représentation est centrale dans la vie d’une lesbienne.
Marie : Il y a un truc très fort sur les identités lesbiennes c’est qu’on ne nous voit pas. C’est peut-être moins vrai en 2024 qu’il y a 20 ans. Mais quand on dit homosexualité on pense encore avant tout à des hommes gays et pas aux autres. Quand j’avais 6 ans, j’ai vu deux hommes s’embrasser pour la première fois et ça m’a marquée. C’était incroyable. Par contre, je ne savais pas qu’il y avait des femmes lesbiennes et encore moins bisexuelles. Il y avait quelques représentations d’hommes gays à la télé avec des séries comme Will & Grace mais du côté des lesbiennes, il n’y avait que dalle.
On est nombreuses à se réaliser bi ou lesbienne un peu dans notre coin, sans savoir à quoi ça ressemble. C’est un vrai enjeu qu’il y ait de plus en plus d’images diverses et variées. Quand il y a eu The L Word, qui était un progrès énormissime, des reproches ont été faits à la série parce que ça ne pouvait pas couvrir tous les champs. C’est injuste parce que du coup c’est comme si elle devait représenter toutes les gouines. C’est trop de pression. Alors que pour un film hétéro, on va jamais dire que la répresentation est mauvaise. D’ailleurs, je comprends pas comment les hétéros n’ont pas fait une manifestation pour dire que la représentation était honteuse dans Un gars et une fille.
Maëlle : Dans la commu gouine, on a un côté très exigeant. Il y a une comédie qui sort, faudrait qu’elle soit parfaite, qu’elle fasse rire tout le monde de la même manière. Je schématise bien sûr mais les reproches vont très vite dès qu’il y a un truc lesbien qui sort parce qu’il y en a peu donc on a beaucoup d’attentes. J’ai du mal à me rendre compte si c’est typiquement lesbien mais ça se retrouve beaucoup. Au hasard, je pense à Split d’Iris Brey. J’ai vu des lesbiennes qui adoraient et d’autres qui étaient pas du tout d’accord. C’est trop intello, etc. Chaque avis est légitime mais faudrait qu’on ait du recul pour dire “ce truc lesbien je l’aime pas, mais ça veut pas dire que c’est une mauvaise représentation lesbienne”. Tant que les œuvres sont faites par des lesbiennes, bien sûr.
Quels ouvrages recommanderiez-vous à une bébé gouine ?
Marie : C’est toujours le même, c’est ma série de livres préférés : Dykes to Watch Out For (Gouines à suivre) d’Alison Bechdel. Pour moi, c’est le meilleur livre lesbien de tous les temps. C’est une BD où on retrouve une bande d’amies lesbiennes, constituée d’exs notamment, de nouvelles amantes, etc. La BD retrace aussi tout un pan de l’histoire queer américaine parce que ça se déroule sur 25 ans.
Il y a aussi le livre Attirances : lesbiennes fems, lesbiennes butchs coordonné par Christine Lemoine et Ingrid Renard sorti en 2001. C’est un livre collectif avec des textes de fiction, des essais… Je le trouve hyper fort. C’est l’un des rares livres qu’il y avait sur les questions lesbiennes à l’époque en France et il reste intéressant à relire 20 ans après.
Maëlle : Je dirais Quatrième génération de Wendy Delorme, qui a été réédité en 2022. C’est pas le premier truc lesbien que j’ai lu mais c’est une jolie photographie d’une époque. Au moment où c’est sorti en France, c’était révolutionnaire et ça a été une bouffée d’oxygène pour pas mal de personnes de la communauté lesbienne et queer. C’est bien d’avoir des livres qui sont marqués dans le temps pour montrer à des personnes qui sont de la jeune génération que ce sont des questionnements qui nous traversent encore, qui étaient là et qui sont encore là. C’est une chouette courroie de transmission sur certaines interrogations intimes et politiques.
Le lancement du livre Gouines aura lieu le 8 novembre à Violette & Co à Paris en présence du collectif. Puis, des rencontres sont déjà prévues le 14/11 à Lilosimages à Angoulême, le 23/11 à La Licorne à Aubusson et le 29/11 à L’Affranchie à Lille.
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