Marie Fortuit donne vie à Thérèse et Isabelle, les deux amantes passionnées et longtemps censurées de Violette Leduc. Une occasion rare d’entendre les mots de l’autrice dans une mise en scène inspirée.
Sur scène, trois lits et un piano. Il n’en faut pas plus pour évoquer l’intérieur du pensionnat où Thérèse et Isabelle vivront 3 jours et 3 nuits d’un amour fou et révolutionnaire. Pendant 1h45, ce décor devient le terrain de jeu de Marie Fortuit et de ses quatre interprètes dans une adaptation à la fois fidèle et libre de l’œuvre remarquable de Violette Leduc que le monde littéraire a voulu cacher pendant plusieurs décennies.
Montrer le désir lesbien
Écrit entre 1948 et 1951, Thérèse et Isabelle se destinait à être la première partie du roman Ravages. Mais lorsque Violette Leduc le présente à Gallimard en 1954, celui-ci est amputé de sa première partie jugée trop scandaleuse pour l’époque. Il faudra attendre 1966 pour qu’une version de l’œuvre – là encore censurée – soit éditée. Ce n’est qu’en 2000 que le roman sera publié dans son intégralité, tel que Violette Leduc l’avait écrit.
Elle me sortait d’un monde où je n’avais pas vécu pour me lancer dans un monde où je ne vivais pas encore.
Extrait de Thérèse et Isabelle

Si cette censure a duré autant de temps, c’est parce que Thérèse et Isabelle raconte une histoire d’amour lesbienne érotique où le désir est entièrement assumé, ce qui est inédit pour l’époque. Représenter ce désir puissant était l’un des défis que devait relever la pièce et c’est d’abord par les mots qu’elle y parvient. Marie Fortuit s’emploie à dé-censurer le texte de Violette Leduc en faisant entendre la langue poétique, charnelle et crue de l’autrice. La dimension physique n’est pas oubliée pour autant avec des jeux de regards, des étreintes, des draps qui se soulèvent, des vêtements qui jonchent le sol… L’alchimie des actrices Raphaëlle Rousseau (Thérèse) et Louise Chevillotte (Isabelle) achève de nous convaincre de cet amour réciproque, vibrant et, sans surprise, condamné d’avance.
La musique joue également une place importante dans la pièce. La pianiste Lucie Sansen – déjà présente dans le spectacle musical La vie en vrai (avec Anne Sylvestre) de Marie Fortuit – interprète ici le rôle de la surveillante générale et donne le ton des effusions cachées entre les deux amantes. Les œuvres de Bach, Liszt et Schubert résonnent dans le pensionnat mais aussi, plus surprenant, des morceaux de Juliette Armanet et Véronique Sanson qui s’insèrent parfaitement dans le récit. Le casting est complété par Marine Helmlinger qui, avec seulement quelques lignes de dialogue, incarne à la fois la témoin, l’alliée et la juge du désir de ses camarades de pensionnat.
Violette et Simone
La pièce de Marie Fortuit se divise en deux parties. La première est donc l’adaptation du roman que nous évoquions plus haut tandis que la seconde voit apparaître Violette Leduc et Simone de Beauvoir pour contextualiser la genèse de l’œuvre. Les deux comédiennes qui incarnent Thérèse et Isabelle se métamorphosent, pour devenir celles qui les ont inspirées.
Nous serrions contre nous les Isabelle et les Thérèse qui s’aimeraient plus tard avec d’autres prénoms, nous finissions de nous étreindre dans le craquement et le tremblement.
Extrait de Thérèse et Isabelle

En effet, ce n’est pas un secret, Thérèse et Isabelle a tout du récit autobiographique, celui du premier amour de Violette Leduc mais aussi celui de sa passion non-réciproque pour Simone de Beauvoir. L’autrice du Deuxième Sexe n’aura de cesse d’encourager Violette Leduc a écrire cette histoire d’amour adolescente et lui témoignera jusqu’au bout son admiration. Les deux écrivaines se livreront d’ailleurs à une correspondance régulière dont des extraits figurent dans la pièce et Simone de Beauvoir signera la préface de La Bâtarde en 1964.
Cette seconde partie ancre donc le récit dans son époque, dénonce la censure comme un assassinat, et souligne l’urgence de l’écriture quand on a plus que ça. Aujourd’hui, il paraît essentiel de (re)découvrir le texte fondateur de Violette Leduc et c’est une chance de le voir incarner au théâtre, 53 ans après la mort de l’autrice.
Thérèse et Isabelle de Marie Fortuit avec Raphaëlle Rousseau, Louise Chevillotte, Lucie Sansen, Marine Helmlinger. La pièce s’est jouée à guichets fermés au Théâtre de la Ville à Paris et sera en tournée en 2025/2026. Elle passera notamment à Lyon du 3 au 16 novembre au Théâtre des Célestins puis à Nice, Suresnes, Grasse, Amiens, etc.