Après Bilal Hassani chez les hommes*, Clémence Castel chez les femmes. Vendredi dernier, le premier duo exclusivement féminin de l’histoire de Danse avec les stars (DALS) en France a fait son entrée dans la compétition. Un enjeu en termes de représentation, mais pas une petite révolution télévisuelle comme Bilal Hassani la saison passée, du fait d’être la deuxième première, mais pas que.
«Je me dis que c’est un gros privilège», affirme la danseuse professionnelle Candice Pascal, lorsque sa partenaire Clémence Castel, une des nouvelles célébrités à fouler le parquet de Danse avec les stars cette saison, lui demande, avant leur première danse, si elle n’a pas trop la pression d’incarner avec elle le premier duo exclusivement féminin de l’histoire du programme en France.
Pourtant, au moment de l’officialisation, le 14 août dernier, de la participation de la double gagnante du jeu d’aventures de TF1 Koh Lanta, la réponse ne semblait pas aussi évidente : dans la mesure où la jeune femme de trente-sept ans ne se cache plus d’être attirée par les femmes depuis sa séparation avec son compagnon et père de ses deux enfants en 2019 et son histoire d’amour avec une prénommée Marie rendue publique via une publication sur son compte Instagram en juillet 2021, allait-elle danser avec un homme ou une femme ? Friande d’entretenir le mystère et l’ambiguïté autour de la nature de la relation naissante entre la célébrité et son ou sa partenaire de danse, de sorte à ce que le public s’attache davantage au binôme s’iels lui prêtent une complicité et un rapprochement plus que professionnel et amical, la production du programme aurait-elle intérêt à ce que ce soit, ici, un binôme mixte ? Jusqu’à la précédente saison, la question ne paraissait pas se poser dans l’adaptation française du concours télévisé de danse : si la célébrité était un homme, sa partenaire était nécessairement une femme, et inversement.
Seulement, depuis, Bilal Hassani est passé par là. En concourant avec le danseur Jordan Mouillerac à l’automne 2021, le chanteur ouvertement gay et queer* a ouvert la voie. «Quand on m’a proposé de participer au programme, j’ai demandé si c’était possible que je danse avec un – et non une – partenaire car j’aimerais bien pouvoir mettre de jolies robes et de jolies perruques pendant toute l’aventure. Et puis, je me voyais difficilement porter ma partenaire… Je leur ai demandé simplement et ils ont accepté directement. On ne s’est pas posé beaucoup de questions. Ce n’est qu’après que je me suis rendu compte que cela allait être une première en France», racontait le chanteur au Figaro en septembre 2021. Il avait poursuivi : «Je pense aux petits garçons qui sont comme moi, qui vont regarder le programme avec leurs parents et se dire : ‘ok, je ne suis pas bizarre’. C’est vraiment ce qu’il y a de plus important». «Je suis content qu’en 2021, on puisse montrer ça à un public qu’on sous-estime un peu trop. On s’attend trop à des réactions violentes mais je pense qu’il faut faire confiance au public français et de cette émission», avait ajouté Bilal Hassani, cette fois auprès du Républicain Lorrain, à la même période.
Finalement, il a fallu attendre fin août pour que Clémence Castel confirme elle-même auprès du magazine médias Télé Loisirs qu’elle danserait avec une femme : «La production m’a laissé le libre choix de danser avec un homme ou une femme. J’ai dû me poser les bonnes questions et j’ai eu une tendance à vouloir danser avec une autre femme. […] La danse est un art qui fait passer plein d’émotions. C’est aussi un jeu de rapprochement des corps, de séduction, donc je pense que je serai plus crédible avec une femme». Pour autant, la jeune femme a tenu à préciser tout de suite : «Je ne suis la porte-parole de rien du tout. Simplement, je veux montrer aux téléspectateurs que deux femmes ensemble, ça peut être beau, doux, artistique, sauvage.» Clémence Castel a ensuite ajouté : «J’ai aussi envie de le montrer à mes enfants en leur disant : ‘Des millions de gens vont regarder, il n’y a pas de problème et il ne faut pas avoir peur’. […] Je m’expose peut-être à des critiques mais je sais où j’en suis et ça ne m’atteindra pas. Du moment que mes proches sont ok avec ça, il n’y a pas de soucis !»
Cette nouvelle a, depuis, quelque peu fait parler, mais dans des proportions clairement moindres qu’à l’automne dernier pour Bilal Hassani. Une question de notoriété de la célébrité ? Ou bien la simple participation du chanteur a suffi pour banaliser la présence d’un couple de personnes de même genre dans Danse avec les stars (DALS), bien qu’il n’existait encore aucun précédent chez les femmes avant Clémence Castel ? A l’échelle mondiale, la participation de Clémence Castel ne semble pas non plus, comme nous allons le voir, constituer un évènement pour le célèbre divertissement adapté dans une quarantaine de pays.
2021 : JoJo Siwa (et Jenna Johnson) dans la version américaine de Danse avec les stars
Celle qui a amené ce vent de nouveauté aux Etats-Unis s’appelle JoJo Siwa. Alors âgée de dix-huit ans, la chanteuse, danseuse et star des réseaux sociaux avait fait son coming-out queer sur le réseau social Twitter quelques mois plus tôt. «Ca s’est fait de manière très subtile», explique t-elle dans une interview accordée au média LGBT+ américain Pride en novembre 2021. «Les producteurs et créateurs de l’émission ont lancé l’idée dans un e-mail», ce à quoi elle a répondu : «Absolument. Sans hésitation. Une femme. Non seulement parce que c’est ce que je suis, mais aussi pour le monde, cela va avoir un tel retentissement et ce sera si inspirant, c’est ce que je voulais.»
Avec sa partenaire de danse Jenna Johnson, JoJo Siwa a finalement fini sur le podium, à la frustrante deuxième place.
2021 : Freja Kirk (et Claudia Rex) dans DALS au Danemark
La même année, c’est la chanteuse danoise de trente-quatre ans Freja Kirk qui a ouvert le bal aux couples exclusivement féminins dans la dix-huitième saison de la version locale de «Danse avec les stars» lancée également en 2005.
Pour la chanteuse ouvertement queer et qui s’est mariée, quelques semaines avant la compétition, à sa compagne depuis 2013, cela ne pouvait être autrement : «La seule façon pour moi de participer à l’émission était de pouvoir danser avec une femme», déclare t-elle en août 2021 au magazine Vogue Scandinavie. «Je n’ai jamais eu l’impression de rentrer dans les cases de la société. Suis-je un garçon manqué ? Suis-je lesbienne ? J’ai toujours eu un énorme problème avec les gens autour de moi qui ont besoin de me définir. Dès mon plus jeune âge, certaines valeurs ont été associées à mon sexe, et chaque fois que j’ai dévié de ce qu’on attend normalement d’une fille, les gens se sont posé des questions ou m’ont regardé de travers. […] J’ai longtemps eu peur de dire : ‘Oui, je suis une fille, mais j’aimerais peut-être aussi être un garçon’. Et cela ne signifie pas nécessairement que je veux être un homme. […] Je veux qu’on me permette d’être moi-même avec tout ce que cela implique, sans que personne n’ait à me mettre une étiquette», développe t-elle en février 2020 dans le magazine féminin danois Alt.
«Je suis vraiment fière de pouvoir participer à l’émission pour repousser certaines limites, à faire évoluer certaines idées sur la façon dont les rôles de genre devraient être», ajoute t-elle auprès du journal danois B.T. en août 2021.
Hélas pour elle et sa partenaire de danse Claudia Rex, le succès n’a pas été autant au rendez-vous que pour JoJo Siwa et Jenna Johnson : le binôme a été éliminé lors de la cinquième semaine de compétition, soit à la huitième place sur douze participantes et participants.
2021 : Elina Gustafsson (et Ansku Bergström) dans la version finlandaise de DALS
L’année 2021 aura décidément été riche en première fois pour «Danse avec les stars». Après l’adaptation américaine et danoise, c’est au tour de celle finlandaise de s’essayer aux binômes de femmes.
Dans la quatorzième saison du «Danse avec les stars» finlandais, diffusée depuis 2006 à la télévision du pays, c’est la boxeuse Elina Gustafsson, vingt-neuf ans, médaillée de bronze aux championnats du monde en 2016 et championne d’Europe en 2018, qui a endossé ce statut. «Quand on m’a proposé qu’Ansku soit ma professeure, j’ai immédiatement fait savoir que je voulais participer au concours. C’est un honneur, et un grand», raconte Elina Gustafsson au site finlandais Metropoli au moment de la diffusion du programme.
Si Elina Gustafsson et sa partenaire de danse Ansku Bergström sont passées à côté, et de loin, de remporter le trophée (éliminées dès la deuxième semaine de compétition), elles ont, toutefois, toutes les deux remporté quelque chose de plus précieux encore : le cœur de l’autre. En effet, fin 2021, soit trois mois après leur élimination et quelques semaines après le dénouement du concours, la boxeuse ouvertement lesbienne a rendu publique sa relation avec son ancienne partenaire de danse via deux photos postées sur Instagram, avec comme légende «Mon amour». Une nouvelle qui a surpris les téléspectatrices et téléspectateurs finlandais du fait qu’il s’agisse de la toute première histoire d’amour née grâce à l’émission. «Il y avait une forte alchimie entre Elina et moi dès le premier tournage, mais je ne voulais pas me l’admettre. Je suis restée professionnelle. Mais quand nous sommes sorties de l’émission, je me suis demandé quelle suite donner à notre relation, et j’ai pris conscience que je ne voulais pas que ça se termine», s’est confiée Ansku Bergström dans une interview accordée au magazine féminin finlandais Anna en août dernier. Un an plus tard, les deux femmes semblent filer le parfait amour puisqu’elles sont toujours en couple et viennent même d’emménager ensemble cet été. Et oui, la danse, ça rapproche, et pas que les hommes et les femmes entre eux.
2020 : Nicola Adams (et Katya Jones) dans Danse avec les stars au Royaume-Uni
Un an auparavant, c’est dans la version originale du programme, au Royaume-Uni, pour la dix-huitième saison du concours télévisé de danse lancé en 2004, que deux femmes ont, pour la première fois, dansé ensemble.
La célébrité ? Nicola Adams, boxeuse, à la fois championne olympique en 2012 et 2016 et vice-championne du monde en 2008 et 2010. La jeune femme racisée de trente-sept ans avait réalisé son coming-out lesbien sur le réseau social Twitter quelques semaines avant le début de la compétition. En octobre 2020, elle expliquait au journal anglais Daily Star qu’elle avait elle-même demandé à la chaîne d’avoir une danseuse et non un danseur au moment de discuter de sa participation au programme. «C’était important pour moi en terme de diversité. Je n’ai pas compris pourquoi danser avec une autre femme a fait toute une histoire. En boîte de nuit, les filles dansent avec les filles tout le temps, donc je ne pense pas que ce soit un vrai problème», explique t-elle.
Hélas, cette première au Royaume-Uni a été rapidement contrariée : au bout de trois semaines de compétition, Nicola Adams a été contrainte de déclarer forfait, sa partenaire de danse Katya Jones ayant été testé positive au coronavirus.
2010 : Gili Shem Tov (et Dorit Milman) en Israël
Mais la précurseuse est de loin la présentatrice télé et commentatrice sportive Gili Shem Tov, la première parmi les premières à avoir dansé avec une personne du même genre qu’elle, hommes et femmes confondues, dans «Danse avec les stars». Pour cela, il faut remonter pas moins de dix ans en arrière, plus exactement dans la sixième saison de l’adaptation israélienne du programme lancé en 2005 et arrêté en 2012.
Dans un article paru en novembre 2010, le journal français 20 Minutes nous rapportait que, là encore, c’est la célébrité qui a pris l’initiative de proposer de danser avec une autre femme. «Je vis avec une femme. Nous élevons notre enfant ensemble. La question ne se pose pas», avait déclaré, à l’époque, la jeune femme de trente-quatre ans. «Si en faisant cela, même seulement quelques personnes deviennent plus tolérantes et ouvertes d’esprit, alors j’aurai atteint mon but», avait-elle ajouté.
Difficile de savoir si Gili Shem Tov a atteint son but, en tout cas le binôme qu’elle a formé avec sa partenaire de danse Dorit Milman a, semble t-il, été plutôt bien accepté : le public de l’émission ne l’a éliminé que lors de la troisième semaine de compétition, soit huitième sur douze participantes et participants. Pour autant, comme nous venons de le voir, leur exemple n’a pas tout de suite ouvert la voie à d’autres binômes de même genre, du moins côté femmes.
A noter : à l’exception du Danemark, l’ensemble de ces premiers duos exclusivement féminins ont également été les premiers couples de même genre tout court de l’histoire du programme dans leur pays. Certaines adaptations n’ont, d’ailleurs, toujours pas connu de pendant exclusivement masculin. Plus dur d’introduire des binômes exclusivement masculins que féminins ?
Evènement ou non, la participation de Clémence Castel représente, malgré tout, un enjeu important en termes de représentation, que ce soit de banalisation des couples lesbiens ou bisexuels à l’écran (même si le programme ne fait que le suggérer ici) ou d’identification pour n’importe quelle fille ou femme qui souhaiterait s’essayer à la danse de salon. Celle-ci est une affaire de capacités physiques et d’alchimie entre deux partenaires, pas de genre. Une piqûre de rappel qui semble toujours la bienvenue, y compris venant d’une émission de télévision.
Alors, jusqu’où ira Clémence Castel dans la compétition ? Même si cela semble mal embarqué au vu de sa place en ballotage défavorable et de son sauvetage par le jury à l’issue de la première semaine de compétition, parviendra t-elle à faire mieux que Bilal Hassani et Jordan Mouillerac, arrivés sur la deuxième place du podium l’an passé ? Sa partenaire de danse Candice Pascal parviendra t-elle à l’amener jusqu’au trophée, comme elle a réussi à le faire lors de la huitième saison avec son partenaire de l’époque, l’acteur Agustin Galiana ? Une chose est sûre : Bilal Hassani, qui a intégré le jury cette année, sera aux premières loges et n’en manquera pas une miette !
* Pour être plus clair et précis, Bilal Hassani défend l’idée de pouvoir tantôt assumer sa part de masculinité, tantôt mettre en avant sa part de féminité. Il permet également d’être désigné à travers les pronoms «il» ou «elle». Néanmoins, dans «Danse avec les stars», pour faire simple pour le public de l’émission, Bilal Hassani a été présenté en tant que candidat masculin, d’où le raccourci dans l’amorce de cet article, complété ensuite.